Même si l'on ne peut que compatir pour la perte subie, et d'autant plus que les retours que j'ai entendu sur Nicolas Julhès ont en grande majorité été excellents, je trouve tout de même assez naïfs au mieux (et complètement stupides dans le pire des cas) ses commentaires (relayés via l'article paru sur
Slate.fr)
«Se dire que quelqu’un en avait envie à ce point, coûte que coûte, jusqu’à l’obtenir par des moyens répréhensibles… Le whisky est-il donc passé dans un autre univers, comme les œuvres d’art qu’on cambriole simplement pour les posséder et non pour les partager? Je suis déçu, blessé qu’un amateur de beaux flacons ait pu franchir ce cap. Chaque goutte de cette bouteille maudite sera dégustée avec de mauvaises raisons, en violation de toutes les valeurs qui nous font aimer le whisky.»
Non seulement il y a contradiction entre ces deux phrases, mais en plus c'est empreint d'une naïveté ou d'une stupidité fantastique. À qui peut-on encore faire croire (surtout pour une bouteille de 50 ans à 25 000 balles), à notre époque de flambée des prix tellement risible qu'on ne peut qu'en pleurer, que seul un "vrai amateur authentique, pur et dur, sympathique, partageur" de whisky aurait pu acheter (ou aurait acheté) cette bouteille ? L'industrie du whisky est mercantile et il est bien évident que de telles bouteilles, aux prix où elles sortent, ne sont pas faites pour l'amateur lambda qui apprécie au quotidien son whisky. Hormis de rares vrais amateurs privilégiés, et des nantis béotiens avec les poches sans fond, qui peut se permettre de payer 360 € le centilitre d'un whisky ?
Et il est bien évident qu'il aurait vendu cette bouteille au prix fort, à un client qui aurait pu allonger le cash direct.
Si l'idée de départ est de faire proposer à ses clients (dont il en estime certains très fortunés et très amateurs) une bouteille exceptionnelle et très rare, l'intention est "louable", mais on ne va pas me faire croire qu'en investissant pour acheter cette bouteille et pour la vendre (car c'est le but final de tout commerce), on ne fait pas le jeu de l'industrie, de la folie des prix qui grimpent, etc.
De fait, il ne faut pas se dire "étonné, blessé, déçu" que ce genre de délits arrivent, car l'appât du gain reste le plus fort, et je trouve ça assez risible que tout le monde s'en étonne et le condamne. Oui le délit en lui-même est condamnable (pénalement et moralement), mais cela dit c'est le risque quand on se lance dans un tel investissement.
Et on ne parlera même pas du manque flagrant de sécurité et de précaution.
À part se faire mousser et faire rêver des clients sur une bouteille qu'ils ne pourront jamais s'offrir, pour montrer qu'on est un magasin qui "s'y connaît" et qui peut vendre de telles bouteilles, quel est l'intérêt de garder une telle bouteille au vu et au su de tous, sachant sa valeur ?
«C’est une bouteille qui a du sens, justifie Nicolas Julhès. Elle n’est pas bling, elle n’est pas dans le luxe ostentatoire: elle parle le langage universel de la passion. Et la passion n’a pas de limites.»
25 000 euros c'est assez au-delà des limites en effet. Cette langue de bois me semble assez hallucinante, comment peut-on justifier que 70 cl de whisky à ce prix, pour cette bouteille (aussi vieux le whisky soit-il) "a du sens" ?
Ce qui a du sens, c'est que des bas salaires gagnent moins que ce prix-là en un an de travail.
Si avoir et proposer ce whisky "a du sens", alors on ne parle pas du sens des réalités.
«Quand je la vendrai, ce sera un adieu définitif, il me sera impossible d’en commander une autre, vous comprenez, s’excuse-t-il. C’est une pièce de collection.»
«Les bouteilles ne me fascinent pas tant qu’elles ne sont pas ouvertes. La moitié du plaisir en goûtant un whisky, c’est de voir la gifle que prend la personne avec qui vous le partagez quand tout un univers s’ouvre soudain à elle.»
Encore une fois contradiction, on sait bien désormais que ceux qui "collectionnent" pour collectionner n'ouvrent pas les bouteilles. Il n'y a qu'à voir les prix de petites bouteilles s'envoler dès qu'elles sont Sold Out pour le savoir. Le but est de faire une plus-value... comme tout commerce par ailleurs.
Je suis navré si cela paraît assez irrespectueux ou contraire aux avis généraux, mais je ne peux pas m'empêcher d'être désabusé quand je vois autant de naïveté et/ou d'hypocrisie.
Cela dit, ça ne m'empêche pas de compatir avec la perte que cela doit représenter pour tout amateur de whisky.